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14 janvier 2013

Alceste ou la « faillite d’une volonté » (Molière, « le Misanthrope », 1666)

 

EQUINOX

 

Publié le 30 mai 2009 par 

moliere.1243658300.jpgJ’ai relu deux où trois fois le «Misanthrope» de Molière, avec à chaque fois la même avidité mêlée de doutes, pour le personnage d’Alceste. La scène d’exposition, on s’en souvient, s’ouvre sur une sorte de dialogue philosophique avec son ami Philinte. Alceste y dénonce sans ambages l’hypocrisie de son ami, capable d’exprimer tous les compliments du monde et l’instant d’après, témoigner vis-à-vis du même homme, une totale indifférence: «à peine pouvez vous dire comme il se nomme; votre chaleur pour lui tombe en vous séparant, et vous me le traitez, à moi, d’indifférent». On admire cette franchise, que l’on aimerait faire sienne à l’égard parfois de ses propres amis; mais il faut l’admettre, le lecteur se sent souvent plus proche de Philinte, même s’il comprend et partage le malaise d’Alceste ou plutôt sa haine viscérale à l’encontre de la nature humaine. Il le dit clairement, ne voyant ici-bas que deux catégories d’hommes : «… je hais tous les hommes: les uns parce qu’ils sont méchants et malfaisants, et les autres, pour être aux méchants complaisants».

 

Mais alors, quelle est la place d'Alceste dans ce monde affreusement binaire ? Où se situe-t-il lui-même ? Appartient-il à la même espèce humaine ? Le misanthrope répond évidemment oui, mais il est celui qui fait un pas de côté, prend du recul, nous considère de haut; celui qui dans la caverne de Platon, brusquement se lèverait pour voir la lumière tandis que les autres demeureraient enchaînés: «je veux qu’on me distingue; et pour le trancher net, l’ami du genre humain n’est point du tout mon fait». C’est en somme, l’homme seul et déterminé qui dit non; une volonté qui ne plie pas; l’intransigeance incarnée refusant tout compromis avec la société. Ramon Fernandez dont on connaît les égarements politiques, a néanmoins rédigé en 1929, à l’âge de trente cinq ans, un essai lumineux sur Molière. Il nous apprend que ce dernier a tiré le nom d’Alceste d’un mot grec qui signifie homme fort, vigoureux champion. Le nom dit tout de la psychologie du personnage, enfin presque…

Car Alceste n’est visiblement pas un bloc monolithique, en tout cas tel que le perçoit son vieil ami lui demeurant fidèle en dépit des maintes choses dont il lui fait grief. Philinte reste en effet perplexe devant celui «qui veut rompre en visière à tout le genre humain»; un homme si pur qui «veut qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur, on ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur»; mais qui en même temps, est le compagnon de Célimène… Autrement dit une coquette, incarnant plus que tout autre, la société (au sens du dix-septième siècle) et son étouffante hypocrisie. Philinte constate le paradoxe avec une habile ironie: «je m’étonne, pour moi, qu’étant comme il le semble, vous et le genre humain si fort brouillés ensemble, malgré tout ce qui peut vous le rendre odieux, vous ayez pris chez lui ce qui charme vos yeux». Le coup est rude dans cette partie de boxe oratoire. Alceste encaisse, ne cherchant pas à esquiver; il avoue sa faiblesse qui n’est pas un aveuglement: «l’amour que je sens pour cette jeune veuve ne ferme point mes yeux aux défauts qu’on lui trouve, et je suis, quelque ardeur qu’elle m’ait pu donner, le premier à les voir, comme à les condamner». Et Alceste d’achever la scène par ces mots proverbiaux: «la raison n’est pas ce qui règle l’amour».

ramon.1243658938.jpg

Avant de lire le petit chef-d’œuvre de Ramon Fernandez - heureusement réédité grâce au succès de la biographie que son propre fils lui a consacré – j’avoue que je me ralliais au jugement de Philinte, me demandant même parfois, si Alceste, ne se payait pas de mots. Le ridicule n’est-il pas au fond un des ressorts du comique ? Je me disais que ses contradictions nous le rendaient au mieux plus humain parce qu’insincère, moins caricatural, plus intéressant au final. Je crois désormais que Molière nous tend un piège. C’est après tout un des dangers de la lecture, que d’épouser la vision d’un personnage ou celle du narrateur s’agissant d’un roman. Celle de Ramon Fernandez m’a aujourd’hui convaincu: il s’agit pour lui, d’un homme non pas tant pétri de contradictions, mais qui livre un combat à la fois contre les autres et aussi contre lui même; un homme dont la confiance progressivement vacille, de moins en moins sûr de lui: «l’histoire d’Alceste nous dit-il, est avant tout l’histoire de la faillite d’une volonté». Au dénouement, il capitule et se retire dans le désert, c’est à dire loin de la société. On comprend qu'un Rousseau solitaire, et probablement autant, sinon plus persécuté que Molière lui-même, ait aimé «le Misanthrope». Pour finir, peut-on imaginer une seconde, un Alceste qui n’aurait pas abandonné ? Oui, répond Ramon: «… si Alceste veut vraiment imposer sa raison il faudra qu’il se prenne au sérieux, et qu’il prenne le monde au sérieux du même coup. Devenu Jacobin, au lieu de fuir dans un désert le monde, il fera du monde un désert". On songe évidemment à Robespierre, lecteur de Rousseau...

Ramon Fernandez

 

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