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7 juillet 2013

Peter Handke : le théâtre de la langue

 

 

Télérama.fr

 

 

Portrait | Il ne donne pas à voir le monde mais à l'entendre. Les mots de Peter Handke, flot proféré, exaltent le voyage épique, la tragédie intime. Son grand poème dramatique, “Par les villages”, est programmé au festival du 6 au 13 juillet.

    Le 06/07/2013 à 00h00Georges Banu - Télérama n° 3312

 

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 © Olivier Roller/Divergence

© Olivier Roller/Divergence

« Ce qui nous réunit, Wim Wenders, Peter Stein et moi, c'est d'avoir gravité autour de Handke, d'avoir évolué sous son emprise et subi l'impact de son œuvre autant que de sa personnalité », m'avouait un jour Luc Bondy. Handke, le solitaire, a exercé une influence quasi amoureuse sur ce célèbre triangle ! L'écrivain, l'homme de théâtre, le cinéaste autrichien, né en 1942, a affirmé sans relâche la quête de l'art comme rituel d'écriture, construction dressée sur la matière des mots. Il aime les mots. Les organise musicalement, leur donne une fluidité inlassable jusqu'à élaborer cette forme qui lui est propre et restituer ce qu'il cherche par-dessus tout : l'expérience sensible du monde. Peter Handke édifie un « théâtre de la langue » comme, dans les années 1970, l'avait tenté Pier Paolo Pasolini.

A ses débuts, Peter Handke a approché le théâtre avec méfiance et réserve : « Comme rien ne me paraissait plus étranger que le théâtre, je me suis dit que j'allais écrire une pièce qui parlait justement de ce qui me séparait du théâtre. C'est devenu Outrage au public ! » Un geste scandaleux dans les années 1960 où agresser le public pour l'arracher à son inertie s'éloignait des procédés plus paisibles du théâtre brechtien, devenait attaque explicite. Si étonnant que cela puisse paraître, un même combat relie le Living Theatre, qui à l'époque remuait les salles - le Festival et Vilar en ont fait l'expérience en 1968 -, et Handke, tout aussi agressif. Comme si avant de s'engager au théâtre, il souhaitait mettre à l'épreuve ses motivations qui, tout de même, l'attiraient vers le plateau et les corps.

Le sacrifice de soi exigé par les mots

En 1967, il s'inspire pour son second essai théâtral du cas célèbre de l'adolescent trouvé sur la place d'un bourg allemand, Gaspard, inapte à articuler un mot, réduit à une seule phrase énigmatique. Gaspard est une réflexion cruelle sur l'apprentissage de la langue comme exercice de domestication de l'être. Lui-même, habité par le culte des mots, témoigne de la cruauté que leur manipulation implique et du sacrifice de soi qu'ils exigent. Peter Brook, alors encore captivé par Artaud et le procès intenté aux mots, travailla à ses débuts parisiens sur Gaspard, de Handke. Entre l'écrivain se méfiant du théâtre et les gens de théâtre qui souhaitaient le modifier, d'inattendus rapprochements s'opèrent. L'esprit du temps les apparente.

“Au plus intime de la langue”

Handke, par la suite, s'engage sur la voie du théâtre sans pour autant l'exercer selon son mode canonique, ses pratiques héritées et ses dispositifs inventoriés. Il se dirige vers la scène tout en refusant de s'y plier afin d'instaurer une relation personnelle entre la langue et le plateau, l'acteur et le spectateur. Relation fondée sur la plongée sans retenue dans le gisement des mots, au nom d'une volonté de représenter le monde grâce à eux, et à leur pouvoir de le dire dans sa complexité. Handke avance au-dedans de la langue, convaincu qu'« au plus intime de la langue, le monde et [lui] ser[aient] un ». Il s'agit non pas tant de représenter le monde que de le parler pour véritablement l'appréhender.

Un adversaire des images et des idoles

Si l'on reprenait la vieille dispute mystique, on peut ranger Handke du côté des adversaires irréductibles des images et des idoles. Ne pas donner à voir mais donner à entendre - c'est son vœu. Le théâtre est, affirme-t-il, « la scène du langage ». Beckett et Ionesco ne disent pas autre chose mais traitent le langage autrement : chez eux, il est économe, paupérisé, stéréotypé, tandis que chez Handke il se déploie comme les eaux d'un delta, sans limites ni contraintes. Langage confiant en lui-même et en même temps confronté à des ratages, mais jamais à des coups d'arrêt, à des bégaiements. Maître de son destin.

“Une tendre lenteur est le temps du discours”

Handke réunit ses quatre premières pièces les plus célèbres sous le titre générique de Lent Retour. Indication symptomatique pour désigner l'effort de faire retour vers les origines, celles des mots et du théâtre. Du présent vers le passé éloigné, sans hâte ni chemin balisé. On peut divaguer, s'égarer, se détourner à condition, insiste-t-il, de ne pas se presser. Ralentir, toujours. Handke fait sien le propos de Nietzsche : « Une tendre lenteur est le temps du discours. » Il exige pour la succession des mots ce que Robert Wilson réclame pour celle des images. Les uns comme les autres surgissent dans un flot continu et invitent à se laisser emporter par leur écoulement comme dans une expérience hallucinatoire.

Berceau antique

Par les villages, texte monté par Wim Wenders à Salzbourg (1982), Claude Régy à Chaillot (1983) et Jean-Claude Fall à la Bastille (1988), marque un carrefour. Car ici les références au cours du monde, au roman familial, à la disparition d'un passé s'entrecroisent avec les échos antiques grâce au personnage de Nova et à la forme épique qui rattache le texte à un auteur qu'adule Handke : le tragique Grec Eschyle (525 av. J.-C.- 456 av. J.-C.).

“[Les personnages] sont tous dans leur droit”

Rien ne convient mieux que le plein air au théâtre de Handke, théâtre de la parole proférée, théâtre qui renoue avec les formes premières de l'oratorio, de l'opera seria. La parole ne sert pas ici à engager la communication. Elle entraîne vers soi. Et les personnages, à tour de rôle, s'emparent des mots puisque, indique Handke, ils « sont tous dans leur droit ». Pourtant, cette distribution démocratique du droit à la parole dérive parfois pour se convertir en mainmise. Alors il faut se laisser porter par les monologues comme par les arias de Haendel. Se dessinent de véritables autoportraits de personnages « en proie au langage » ou « à la musique ». Gregor, un des protagonistes de Par les villages, l'affirme : « Chacun est différent et pourtant tous n'ont qu'une voix. » La voix homérique de Peter Handke.

Un théâtre comme une invitation au retour sur soi

Chez lui, voyageur impénitent, le sens de l'observation s'exerce avec une précision clinique. Mais son théâtre ne se veut pas en prise directe avec l'expérience du voyage, même s'il la raconte avec force détails. Si paradoxal que cela puisse paraître, ce théâtre-là invite juste à un retour à soi (et non un repli) après avoir traversé des territoires et vécu des aventures. Handke est un admirateur d'un auteur autrichien oublié, Adalbert Stifter (1805-1868), maître de la description microscopique, et voue un culte à Cézanne et à sa Montagne Sainte-Victoire. Saisissons, dans le flot des mots, les échos du réel que l'œil capte et que la langue exalte, nous suggère-t-il. Handke n'a rien d'un auteur réduit à sa subjective présence, il mobilise la langue pour dire le monde qu'il a foulé et exploré. Pour parvenir à une intelligence sensible du réel.

Depuis longtemps, il invite à pratiquer ce qui est la signature scénique de Stanislas Nordey : l'adresse directe. Il demande que l'on parle « devant », que l'on ne se réfugie pas sur le plateau à l'écart du public, que l'on alterne parole liturgique et parole projetée afin que ce théâtre de la langue affirme son identité. Et dépasse le principe du dialogue pour exalter tantôt le monologue tantôt le chœur. Le théâtre est parole. Même si, par provocation, Handke imaginera un scénario entièrement dépourvu de paroles, que Luc Bondy montera en 1992 avec génie, L'heure où nous ne savions rien l'un de l'autre ; cette ignorance généralisée, c'est d'ailleurs l'absence de mots qui l'explique. Quand Bob Wilson se réjouissait de l'absence des mots dans Le Regard du sourd, Handke lui la déplore.

“Je suis grec !”

C'est un « antimoderne » dissimulé. Il affiche sa contestation du théâtre au nom d'un credo dans les formes premières du théâtre. Pasolini comme Handke se réclament ainsi du berceau antique. « Nous ne sommes pas nombreux, mais nous venons d'Athènes », disait Pasolini. Handke, à son tour, déchiré et écartelé, violent même, ne cessait de répéter lors d'un dîner, pareil à un Goethe des temps modernes : « Je suis grec ! » Dans la Cour d'honneur, Stanislas Nordey devra relier l'auteur de ses débuts, Pasolini - dont il monta Bêtes de style en 1991, Calderon en 1993, Pylade en 1994... -, et celui de sa maturité, Handke. Leurs identités se rapprochent et, en entendant Par les villages, certains spectateurs se souviendront de la naissance d'un metteur en scène qui, le premier, parvenait à trouver la clé de l'Italien réputé injouable. Et ainsi accoucher de soi-même. Sur fond de confiance faite au théâtre de la langue...

Rencontre avec Stanislas Nordey autour de Par les villages.

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Par les villages, texte de Peter Handke, mise en scène Stanislas Nordey, 3h30. Au festival d'Avignon du 6 au 13 juillet, Cour d'honneur du palais des Papes.

Guide des festivals d'été 2013


 

 

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