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29 août 2013

Sur la mer agitée de “Leviathan” avec Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel, réalisateurs

 

Télérama.fr

 

 

Entretien | Ils ont fait un film non pas sur, mais avec les pêcheurs, au plus près la violence de la mer et du métier. Ces deux ethnographes racontent leur documentaire hors norme et sensitif.

    Le 28/08/2013 à 10h23- Mis à jour le 28/08/2013 à 16h39Laurent Rigoulet

 

 Leviathan . © DR

Leviathan. © DR

« Les noces de la recherche universitaire et du film d'art et essai », titrait le New York Times pour la sortie très remarquée de Leviathan aux Etas-Unis.  Dans les cercles du documentaire et du cinéma indépendant, Lucien Castaing-Taylor est devenu une figure aussi étrange que fameuse. Il dirige entre les murs d'Harvard un laboratoire d' « ethnographie sensorielle » qui nous a valu quelques chocs esthétiques. Sweet grass (réalisé avec Ilisa Barbash), impressionante plongée en forme de western-documentaire au cœur des troupeaux de moutons qui sillonnent les immensités du Montana, est sorti chez nous en 2012. Il est suivi par Leviathan, film monstre réalisé avec Véréna Paravel sur le pont d'un chalutier pêchant dans les eaux noires de l'Atlantique. De passage à Paris un jour de grande chaleur, Lucien Castaing et Véréna Paravel s'expliquent sur leur film qui ne ressemble à aucun autre. C'est elle qui parle. Il écoute et n'intervient que pour les précisions.
D'où vous est venue cette idée de rendre compte de manière aussi « viscérale » de l'expérience de la pêche en mer ? A l'origine, nous voulions réaliser un documentaire sur un port de pêche. Nous avons, tous les deux, une histoire liée à la mer. Lucien a grandi à Liverpool, fils d'un architecte qui travaillait pour les chantiers navaux. J'ai suivi, moi, aux quatre coins du globe, mon père qui était un fanatique de plongée. Nous sommes anthropologues de formation, nous travaillons pour un laboratoire  d' « ethnographie sensorielle » à Harvard, et nous ne sommes donc pas très loin de New Bedford, dans le Massachusets, le port qui fût longtemps un haut lieu de la pêche à la baleine et où Herman Melville a écrit Moby Dick. Nous avions envie de nous immerger dans la vie de ce port, d'y réaliser un documentaire tout en y restant assez longtemps pour participer à la vie locale. New Bedford est une ville captivante, elle porte encore les traces de prospérité d'un âge d'or des baleiniers et en même temps, elle affiche tous les signes d'un long déclin : des chalutiers rouillés, mal entretenus, qui restent confinés au port... Tous les ports de la région sont en faillite, New Bedford est à la fois l'un des ports les plus importants du pays et l'une des villes les plus pauvres.

Bande annonce de Leviathan, de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel.

Nous voulions filmer cette économie sans montrer la mer. Nous étions fascinés par la mythologie qui entoure la pêche et l'aventure en mer, mais il y a peu de sujets que le cinéma ou la photographie ont autant représentés. Nous nous sommes demandés comment sortir de l'imagerie romantique du pêcheur, du labeur et de la mer... Nous avons pas mal navigué dans le port, dans les tavernes, à boire, à écouter des histoires, et nous avons fini par trouver ce capitaine étonnant. Un type énorme, un véritable chasseur, qui tue des cerfs quand il est à terre et ne pêche pas. Et qui passe sa vie à jouer dans les casinos – il porte un tatouage avec son chiffre fétiche. Il souffre de narcolepsie, il s'endort à la barre. C'était une rencontre bouleversante et comme dans nos films rien n'est écrit, nous l'avons suivi, nous avons embarqué avec lui. Notre point de vue s'est renversé, nous nous sommes tournés vers la mer, les profondeurs, la lutte des hommes face aux éléments...

Comment filmer la mer de manière nouvelle et singulière ? Nous nous sommes débarassés de toutes les conventions qui polluent le genre documentaire, les interviews, etc... Et lors des premiers jours en mer, nous avons jeté toutes les images qui nous semblaient familières. Personne n'a besoin d'un nouveau film sur les pêcheurs. Tant qu'à se trouver sur le pont, il fallait s'accrocher à notre sujet, coller à ce qui se passait sous nos yeux, trouver un moyen de rendre le côté très très physique – et métaphysique – de ce travail. Nous sommes partis six fois en mer, sans jamais savoir pour combien de temps,  et c'était très dur. Les pêcheurs travaillent parfois vingt heures par jour, il leur arrive de ne pas dormir plus de deux heures de rang et le seul moyen pour nous de nous faire accepter était de travailler autant qu'eux.

Leviathan. © DR

Leviathan. © DR

 

Nous avons eu l'idée de leur donner des petites caméras, de les fixer sur eux, pour enregistrer leur point de vue et leur travail. C'est une initiative qui nous est venue d'une frustration ressentie lors de nos films précédents, nous voulions nous diriger vers ce que Jean Rouch nommait l'anthropologie partagée, faire un film non pas sur les pêcheurs mais avec les pêcheurs. Il n'était pas question de leur faire croire qu'ils étaient les réalisateurs mais de faire intervenir leurs corps, leur vécu de manière plus ou moins consciente pour obtenir un film qui nous plonge avec les hommes au cœur des éléments, comme si la mer, les oiseaux, les pêcheurs écrivaient le film avec nous.

“Nous avons filmé avec les tripes – quand il nous en restait – avec l'inconscience, avec l'épuisement, avec la peur...”

 

Est-ce la nouvelle génération de caméras numériques miniatures qui rendu ce travail possible  ? Nous sommes partagés sur ce point. On nous a beaucoup parlé de la modernité de notre dispositif et on avait tendance à répondre qu'on aurait sans doute obtenu beaucoup de plans semblables avec de simples caméras 16 mm. Mais il est vrai que ces caméras attachés aux hommes apportent une subjectivité émouvante, une soumission aux mouvements des corps qui brouille les perspectives et qui nous a surpris nous-mêmes. Et, sur le plan esthétique, ces caméras ont à la la fois un grain très particulier, qui évoque les débuts du cinéma et un rendu moderne, quasi psychédélique, très abstrait, proche de la science-fiction, des couleurs ahurissantes, renforcées par le contraste entre la très forte lumière sur le bateau et le noir profond du ciel et de la mer. Avec ces images, on finit par perdre ses repères spatiaux et temporels. Ce qui peut transcrire de manière assez juste  par rapport à l'expérience violente de la pêche en mer, les hommes abîmés par la fatigue et l'absorption de drogues dures pour tenir le coup.

Vous dites n'avoir eu aucune idée préconçue sur ce que vous alliez tourner. Comment avez-vous construit votre film ? Rien d'autre ne nous a guidé que ce que nous avions sous les yeux. Il était difficile d'avoir un plan en tête. Nous avons filmé avec les tripes – quand il nous en restait – avec l'inconscience, avec l'épuisement, avec la peur... J'ai tenu un carnet de bord où j'écrivais que ce qui me sauvait de la terreur, c'était de filmer tout le temps. On n'a pas idée de la dangerosité, de la violence de ce métier. Les tempêtes sont terribles, les chalutiers mal entretenus, prêts à couler à tout moment. Peu à peu, il nous est apparu que nos caméras replaçaient l'homme au cœur d'une immensité, qu'on le filmait réduit, aplati, morcelé, parmi les autres espèces. Qu'on le rattachait aussi à sa bestialité. Les humains sont les seuls animaux à ne pas se voir comme des animaux, à ne même pas se considérer comme faisant partie du monde naturel. Ça nous semblait intéressant de donner une autre représentation où les hommes, d'une certaine manière, sont remis à leur place.

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