EDITO. Le film le plus fort au cinéma en novembre pourrait bien être l'un des sommets de l'année 2013. A savoir Inside Llewyn Davis, que nous avions déjà adoré lors de sa présentation en compétition au dernier Festival de Cannes et qui est reparti avec un Grand Prix. Un film en apparence tout simple... La vie d'un jeune chanteur de folk dans l'univers musical de Greenwich Village en 1961, racontée par les frères Coen. Sur le papier, Ethan et Joel Coen rendent hommage à la musique folk des années 60 et à l'un de ses pionniers, Dave Van Ronk, mentor méconnu de Bob Dylan. De la même façon qu'ils se sont inspirés de leur père pour créer le professeur de physique paumé de "A Serious Man", ils s'inspirent de nouveau d'un personnage existant pour développer une fiction aux antipodes du biopic et de l'hagiographie. Ainsi, pendant deux heures, on suit la déroute existentielle d'un artiste (Oscar Isaac), confronté à un monde kafkaïen - à quelques rares exceptions, tous les personnages qu'il rencontre sont soit agressifs soient indifférents à son art et à ses revendications. Il chante dans l'ombre des stars, ne rencontre jamais la gloire, s'enlise dans la lose. On connaît la prédilection des Coen bros pour les laissés-pour-compte et ceux qui passent à côté de leur vie. A nouveau, les réalisateurs testent la capacité d'un personnage à supporter les horreurs de la vie: Llewyn Davis vit sans le sou, ne vend pas de disques et doit se battre pour survivre. Et le film, travaillé par "L'Odyssée" d'Homère (des années après "O'Brother"), de l'accompagner et de le perdre pour révéler des trésors d'émotion. Avec un vrai respect pour l'art et donc la musique - les morceaux étant diffusés en intégralité. Les interprètes sont tous exceptionnels. A commencer par l'acteur Oscar Isaac: il est de tous les plans. Dans des seconds rôles, Carey Mulligan, Justin Timberlake, John Goodman et même un chat - le meilleur que l'on ait vu au cinéma depuis "Broken Flowers" de Jim Jarmusch - font des performances météoriques, chacun ayant droit à sa scène culte. Si l'on rit beaucoup devant "Inside Llewyn Davis", on est aussi dévasté par le chagrin. Grand, très grand film.
Romain LE VERN